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Parmi les grottes, une est inaccessible, on peut voir de loin que des salades ont poussé au sol, que les murs ont des mousses, qu’elle suinte. Je m’engouffre dans la haute grotte comme une longue fente vers le ciel. C’est la grotte des échos, celle où la voix de dieu surgissait et pétrifiait les désobéissants. Profonde, on y pénètre et entre deux parois proches qui forment une voûte en biseau, on cherche le fond. Là où les murs finissent par se rejoindre et refermer l’espace, la largeur augmente légèrement, pour former une douce arène. Les enfants informés par leurs parents des fonctions utiles de cette grotte testent sa réputation et lancent leurs cris. Cri qu’on n’ose à peine pousser, intimidé, curieux et joueur mais gagné par la prestance des murs humides, insensibles, indifférents, d’un autre temps. Cri de test.

Le même cri poussé dans les draps dans l’espace court entre deux murs fins, dans cet espace saturé, dans cet espace écrasé par la masse des habitants compressés autour. Le bruit de la porte pour aller pisser emplit tout l’espace. Mourir d’amour. Abe Sada, Abe Sada, tes petit cris suppliciés, Abe Sada sans lui. Le bruit de ma respiration étouffée essoufflée dans les rues de midi, les oreilles derrière les volets concentrées sur cette respiration qui passe, les rues vite reconnectées, petite ville, petit périmètre, une île, les remparts, les vagues sans baignade, les airs conditionnés.

Pour atteindre les grottes, l’amphithéâtre, les enclaves dans la roche, longer la route à grande vitesse, la station essence, reconfigurer un trottoir fictif, faire le détour nécessaire pour le passage piéton, laisser l’instinct aller dans la bonne direction. Les touristes viennent en car. Là, choisir son aire de visite : le musée, ou les jardins ? Les grottes ou les vestiges ? Longer les stands de souvenir : amphores en toc, sirènes en pastique, horloges suisses. Et derrière les arbres, voilà l’amphithéâtre, et ses chiens. Une meute de chiens pelés, hauts d’un mètre, des couleurs fauve et noir, du marbre, des blessures infectées. Les femelles ont des mamelles gonflées et atrophiées par des cancers, elles sont étalées par terre, l’immobilité en lutte contre la chaleur du soleil. Les mâles, inquiets, se couchent et se lèvent, grondent, longuement, tournent leurs têtes énormes. Des chiens divins, des chiens à hauteur de fauve et à caractère de hyène. Ils surveillent les visiteurs de ce territoire de vestiges, eux qui le considèrent comme leur territoire, là où leurs portées se terrent et là où ils ont répandu leur odeur, leur urine, leurs traces dans la terre sèche et ocre.

Ces hommes perdus sur les plateformes des métros, en stationnement au milieu de leurs humeurs putrides, de leurs derniers haillons dans des sacs éventrés. La jeune fille passe, jupe en lévitation sur des jambes fines, elle enlève son pull en levant ses bras et ses seins, laisse éclater la lumière de ses épaules dans un grand mouvement de chevelure parfumée. Sur le quai d’en face. Le train en vacarme mange son image.

Ces chiens. Les bêtes qui prolifèrent dans le sanctuaire du tourisme ; les autobus de visite guidée. Les pierres alignées, empilées, des gradins, entre elles poussent des herbes sèches éphémères. Le parcours fléché est bordé de cordes rouges, au centre, l’arène est solitaire, désertée par ses fantômes, les vents en petits tourbillons, on prend des photos derrière la corde rouge.

Le désert où l’on s’arrête, après quelques kilomètres sur cette route rectiligne qui le traverse, au bord de cette route, un homme vend des roses des sables. Le car repart.